«Une décision définitive à prendre: suicide seul ou collectif» écrivait Xavier Dupont de Ligonnès, endetté et multipliant les échecs professionnels, dans un courriel envoyé à deux amis neuf mois avant l'assassinat de sa famille. C'est ce type d'éléments, jusqu'ici demeurés inconnus, que révèle Anne-Sophie Martin (Le Canard enchaîné, Enquête exclusive, Secrets d'Actualité) dans son roman Le Disparu, publié aux éditions Ring.
Si l'affaire Dupont de Ligonnès continue de passionner les journalistes cinq ans après, c'est parce qu'elle est unique en son genre: même si l'auteur présumé du quintuple assassinat était retrouvé aujourd'hui, aucune preuve de son meurtre ne permettrait de le juger. Il n'existe aucune trace d'ADN, aucune arme, ni aucun aveu suffisant. Seulement des indices, parfois troublants.
«La trame parfaite d'un passage à l'acte»
Le roman d'Anne-Sophie Martin se base sur les nombreux mails, lettres, sms et autres documents répertoriés depuis 5 ans et connus seulement des quelques enquêteurs et journalistes spécialisés dans l'affaire. Interrogée par Le Figaro, Anne-Sophie Martin nous rappelle à quel point les faits et les documents accumulés constituaient «la trame parfaite d'un passage à l'acte». «J'imagine une ambiance, des dialogues, des faits qui auraient pu se produire. J'ai rencontré beaucoup de gens et j'ai été sidérée en réalisant qu'une personne sur deux, dans l'entourage de la famille, ne croyait pas à la thèse du suicide».
«Il n'y a pas de vérité établie dans cette affaire» explique la journaliste, par ailleurs secrétaire générale de l'Association de la presse judiciaire. «On ne sait pas exactement dans quel ordre se sont déroulés les faits, on a simplement des éléments d'enquête très précis. On sait que Xavier Dupont de Ligonnès a fait remettre en état le fusil de son père, dont le calibre, 22 long rifle, correspond aux balles retrouvées dans les corps, et on a les tickets des achats réalisés par le tueur présumé: de la chaux, des grands sacs-poubelle... Il y aurait assez pour le mettre en examen, bien sûr».
Le soi-disant départ précipité pour l'étranger
Si le meurtre remonte à la nuit du 3 au 4 avril 2011 selon les experts, les corps ne seront retrouvés que deux semaines plus tard, le 21, et la dernière image de l'assassin présumé date du 15 avril, dans le Var. L'enquête laisse donc imaginer le père de famille rester au moins une semaine chez lui pour enterrer les cadavres et dissimuler le meurtre. Au cours de cette semaine, il écrit à une douzaine de proches pour leur expliquer un départ précipité aux Etats-Unis au service de la DEA, la police des stupéfiants américaine, pour «faire tomber un réseau de trafiquants», écrit-il. Xavier Dupont de Ligonnès aurait été jusqu'à répondre aux textos et mails à la place de ses enfants et de sa femme pour calmer les inquiétudes de leurs amis. Il aurait ainsi écrit aux établissements scolaires de ses enfants et rédigé la lettre de démission de sa femme en prétextant une mutation.
Au milieu d'un courriel où il dicte des consignes à sa famille et ses amis sur la vente de la maison, une phrase étonnante ne laisse pas les enquêteurs indifférents: «Inutile de s'occuper des gravats et autres bazars entassés sous la terrasse, c'était là quand nous sommes arrivés». C'est justement sous cette terrasse que seront retrouvés les corps de sa femme, de ses quatre enfants, et de leurs deux labradors.
Toujours vivant?
Pour Anne-Sophie Martin, l'hypothèse selon laquelle le criminel serait encore vivant reste plausible au vu de son passé. L'homme de 50 ans était bilingue en anglais selon son entourage et à l'aise en espagnol. «Il avait pas mal bourlingué dans sa jeunesse, c'est quelqu'un de très débrouillard» rappelle la journaliste. Pour la police judiciaire, la dernière trace de Dupont de Ligonnès date d'avril 2011, lorsqu'on retrouve sa voiture abandonnée sur une route du Var. Cela laisse imaginer qu'il aurait ensuite continué à pied, puis peut-être changé d'identité, peut-être passé la frontière... Beaucoup de témoignages ont laissé croire qu'il avait été aperçu une fois à Rome, une autre à Dieppe, à Bastia ou Turin. Des annonces révélées infondées.
Spécialisée dans les faits judiciaires et criminels, Anne-Sophie Martin fait partie des reporters que l'affaire continue d'intriguer. «J'ai été fascinée par cette espèce d'abîme qu'il y avait dans cette histoire où il n'y a pas de mot «Fin». On ne sait pas aujourd'hui, cinq ans après, si cet homme est mort ou si cet homme est vivant», explique la journaliste. L'auteur s'est pourtant plue à imaginer une suite éventuelle, celle à laquelle beaucoup de membres de sa famille croient encore: une fuite à l'étranger et une deuxième vie.